Infirmières bulgares par Antoine Alexiev Avocat au barreau de Paris

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Discours prononcé le 29 janvier 2005 par mon Confrère Antoine Alexiev au concours international de plaidoiries de Caen :

Si au commencement était le Verbe, la linguistique est peut-être la chose du diable. Le Droit est une succession de mots qui ont un contenu dense, voire épais, mais lorsque la juris-dictio est artificielle, le droit est absurde.

Mesdames, Messieurs,

L’affaire dont je viens vous parler, est l’illustration de cette dernière hypothèse.

Il s’agit de l’affaire dite des « infirmières bulgares » qui inclut aussi un médecin palestinien. Elle a donné lieu à un procès que l’on hésite à classer. La doctrine a dégagé la notion de « grands arrêts », ce sont des décisions qui éclairent une discipline. Le langage commun a dégagé la notion de grands procès qui sont des symptômes de crise, et pour l'exemple on mentionnera l’affaire Dreyfus, le procès de Nuremberg ou encore le procès de Tokyo... l’affaire des « infirmières bulgares » n’entre pas dans ces deux catégories.

Pour en faire le résumé, permettez-moi d’adopter un style télégraphique, haché, car quelques minutes sont trop brèves pour relater sept années de 6 vies broyées.

97 : début d’une invisible et terrible épidémie de SIDA touchant notamment les enfants de la région de Benghazi en Libye.

L’année suivante, arrivée dans cette même région des cinq infirmières bulgares et du médecin palestinien.

Puis découverte d’une cinquantaine d’enfants infectés et ayant été soignés à l’hôpital pédiatrique de Benghazi ; début d’une enquête policière concernant cet hôpital.

Au premier chapitre, celui des interpellations et de l’instruction, on relève en janvier 99, la brutale arrestation, ou plutôt l’enlèvement, du médecin palestinien ; premières tortures.

9 février suivant : brutal enlèvement des cinq infirmières bulgares ; tortures, début d’une longue séquestration illégale, dans les sous-sols d’un chenil de l’armée, théâtre des atrocités.

mars 99 : tortures ; avril 99 : tortures ; mai 99, tortures et tentative de suicide de Nassia, l’une des infirmières… aveux aussi, nombreux aveux forcés, aveux de l’inimaginable par lesquels on les force à s’auto-accuser d’avoir volontairement contaminé du virus du SIDA 426 enfants dans cet hôpital.

Puis s’enchaîne une pure parodie d’instruction. Outre les tortures, est ouverte une procédure d’exception qui permet des perquisitions illégales au domicile de l’une des infirmières : en son absence, découverte fort opportune de cinq flacons de plasma contenant le virus du SIDA, grossier artifice qui fait injure même aux enquêteurs, puisqu’ils se sont trompé de virus, celui du plasma ne correspondant pas à la souche qui frappe.

Au chapitre des droits de la défense, les intéressés ne seront informés de l’accusation dirigée contre eux –d’avoir volontairement répandu cette épidémie de SIDA dans l’hôpital de Benghazi- qu’un an après leur arrestation, accusation qui reproduit leurs propres aveux livrés sous la torture. Le premier contact avec un avocat intervient également après plus d’une année de détention arbitraire, aucun entretien confidentiel n’est autorisé, tout est enregistré ; au cours de l’instruction, ils sont entendus sans traducteur ni avocat et forcés à réitérer sans cesse leurs aveux… pas de trêve pour les torturés.

Malgré la pression, en février 2002, arrivés au bout de leur résistance, l’une des infirmières et le médecin palestinien se plaignent officiellement d’avoir été torturés ; des expertises judiciaires sont ordonnées, les médecins commis constatent que tous ont été torturés ; parmi les enquêteurs, un officier confirme l’existence des tortures ; quelques procès-verbaux portent banalement la mention des tortures. La chose est désormais officielle.

Au chapitre scientifique enfin, Messieurs les Professeurs Montagnier et Colizzi ont été désignés experts judiciaires ; leurs rapports les innocentent, ils concluent fermement à une épidémie nosocomiale due à l’insalubrité des installations et aux seringues à usages multiples, ce d’autant que ladite épidémie s’est déclarée avant l’arrivée des infirmières et du médecin, qu’elle s’est prolongée après leur incarcération et n’a été endiguée que par une aide occidentale discrète, ce d’autant que les accusés n’ont pas travaillé dans le service dans lequel l’épidémie est censée avoir pris naissance et que l’une des infirmières n’a jamais été affectée à l’hôpital pédiatrique de Benghazi.

Les plus hautes autorités européennes et américaines, qui fournissent une aide logistique et matérielle pour la prise en charge des personnes contaminées et leurs familles, se sont mobilisées pour diplomatiquement solliciter la libération des innocents.

Malgré tout, le 6 mai 2004, d’une main qui ne tremble pas, les juges de la cour d’appel de Benghazi prononcent une condamnation à mort qui ne tient nul compte des tortures dénoncées et constatées, pas plus que des rapports Montagnier et Colizzi. Sentence de mort reposant sur les aveux extorqués, sur les flacons de plasma et sur deux témoignages insignifiants.

Dans ce sordide tableau, le 25 décembre dernier survient un coup de théâtre : la Cour suprême de Libye casse et annule la sentence de mort, mais renvoie devant la même cour d’appel de Benghazi.

De ce trop rapide survol que dominent les tortures, on risque de retenir une illusion, celle d’une fin qui devrait être heureuse. Pourtant, il n’en est rien.

Sept ans de prison, des tortures, une infâme accusation, une condamnation à mort, une détention qui n’en finit jamais … ça brise. A fortiori des innocents. Six vies en ruines. Les pleurs des acquittés d’Outreau illustrent bien tout cela.

Du point de vue des victimes, tout est gâché. La maladie et la mort les accablent. Ils ne réussissent pas à croire à l’innocence pourtant bien réelle des persécutés. Mais pire que tout, l’ignorance, l’absolue ignorance de la vérité. Ici, l’action publique est une escroquerie aux victimes.

En ce qui concerne l’avenir, il est très incertain. L’affaire est renvoyée à Benghazi, là où l’épidémie a frappé dur, là où la population attend les accusés, là où les juges ont déjà condamné à mort, et même si la cour est autrement composée, les quelques dizaines de magistrats se connaissent bien … lequel osera revenir, dans cette affaire, sur la décision de ses collègues. Quelle patate bouillante pour ceux qui seront désignés ! Et les autorités politiques qui clament la soi-disant évidente culpabilité des accusés et qui souhaitent que la peine de mort soit encore une fois prononcée ! Inacceptable ingérence du pouvoir politique dans un procès en cours, un procès qui devrait être délocalisé sans tarder.

Et le but du colonel Khadafi n’est toujours pas atteint … et d’ailleurs, il ne le sera jamais.

Les infirmières bulgares sont des otages. Des otages d’un nouveau type, puisqu’elles sont retenues par un Etat, avec une demande de rançon pour cet Etat. Celle-ci est destinée à anéantir la dette de la Libye envers la Bulgarie, mais aussi à compenser les indemnités que doit payer la Libye aux famille des victimes des attentats du DC10 et de Lockerbie, et en plus, réaliser quelques bénéfices si possible. L’indemnité réclamée est quand même de 4 milliards et 3 cents millions de dollars.

Un tel but est aussi pervers qu’insensé, puisque nul ne paiera une telle somme ne serait-ce que parce qu’elle postule un impossible aveu de culpabilité ; et si même elle était payée, on n’imagine pas l’Etat libyen offrir pareil trésor à quatre cents familles vivant regroupées dans une région sécessionniste, étant précisé que la communauté internationale surveillera de très près les transferts de ces fonds, ce qui obligerait le colonel à honorer l’indemnisation des victimes, ce qui pour lui est politiquement impossible.

C’est l’impasse. L’issue est inconnue. Ce procès n’est qu’un château de cartes au vent, le Droit n’a été que prétexte pour couvrir des manœuvres politiques, rhétorique de pure apparence, mise en scène d’une fausse vérité. Ce procès où l’œuvre du diable écrase la part de l’homme ne figurera pas au rang des grands arrêts, ni même des grands procès, mais il ouvre une catégorie, que l’on aimerait orpheline, celle des procès de chantage, où le procès international n’est qu’un vulgaire outil d’extorsion de fonds.

Commentaires

texte d'une clarté bouleversante..

PS (et dans un autre registre): bien sympa hier soir :)

Rédigé par : Blaise | 10 fév 2006 11:37:58

Quelques informations supplémentaires se trouvent :
http://www.bulgaria-france.net/lybie/liberation_asf.html

Rédigé par : Bulgaria France | 13 fév 2006 21:28:01

On ne peut plus odieux, quelle honte

Rédigé par : mysyrowicz | 20 déc 2006 16:22:46

Dites vous innocenter les infirmières et le médecin mais vous ne dites pas comment 432 enfants ont été contaminés . Si le système de santé libyen est si mauvais pourquoi les autres hopitaux libyens ne sont pas mis en cause ???

Pourquoi evacuez vous toute possibilité de négligence professionnelle ? Ce médecin, ces infirmières ils n'ont jamais demandé a faire des tests sur le sang qu'ils utilisaient pour la transfusion ???? Si les infirmières et le médecins sont innocents qui sont les coupables alors ? Le système de santé libyen c'est trop vague et pas assez convaincant comme argument !!

Rédigé par : sam | 2 jan 2007 20:10:11

je reste perplexe, dans cette affaire on a négliger un fait, quelle est la provenance du VIRUS, la répense a ce problène inocentrais définitivement les accusés.

Rédigé par : loups solitaire | 24 juil 2007 14:14:22

avez vous pensé aux enfants ?

Rédigé par : moumnine | 27 juil 2007 11:09:58

Terrible destin que celui de ces infirmières prises en otage par un régime dictatorial.

Hallucinante libération sur fond de sarkozy-show, et de ventes d'armes, qualifiée par les responsable de l' UE d'acte d'humanité de la part de kadhafi...

Elles devront affronter le souvenir des tortures ainsi que la suspicion des uns et des autres: le quidam est ainsi, il se dit: "y'a pas de fumée sans feu".

Le quidam veut un coupable, on en avait trouvé, on en a plus, il est désiorenté.

Le coupable n'est il pas tout simplement l'archaïsme du système Lybien, où le sida est tabou, considéré comme une maladie d'apostat, d'occidental, d'homo-sexuel?

Rédigé par : Gabriel | 3 août 2007 14:12:05

Moi qui ait perdu ma cousine dans l'atentat du DC10, je suis horrifiée par le racket accepté pour la libération des OTAGES, malgré l'immense soulagement légitime après ces années de toture. Le chantage est odieux, tout comme l'avait été la mort et le "remboursement" de la mort des 179 personnes du DC10 et ceux de lockerby. Dans quel monde vit-on?

Rédigé par : AIM | 13 août 2007 21:43:45

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