La régularisation du droit d'action des assureurs en cours de procédure : à propos de l'arrêt "Hornwind" par Pierre-Olivier Leblanc Avocat

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On déduit généralement des dispositions de l’article 31 du Nouveau Code de Procédure Civile, (« l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combatte une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ») que hors l’hypothèse des actions attitrés, intérêt et qualité pour agir se confondent au sens où l’intérêt à agir constitue un titre suffisant pour celui qui agit à titre personnel afin de défendre un intérêt direct (L. Cadiet & E. Jeuland, Droit Judiciaire Privé, Litec 4 ed).

Puisque dans l’hypothèse d’une subrogation légale on requiert de l’assureur qu’il justifie avoir indemnisé son assuré, mais également qu’il démontre le caractère obligé de ce règlement, c’est que son intérêt à agir n’est pas, à lui seul, suffisant pour établir son droit d’action. On peut donc considérer que la preuve de l’existence de la dette revient à justifier de la qualité pour agir du subrogé dès lors que l’existence du paiement justifie à lui seul l’intérêt à agir de l’assureur (Y Desdevise J-Classeur , Fasc.126-3 « Action en justice » n° 90-91).

L’assureur est ainsi contraint de justifier, d’une part que son subrogeant avait intérêt et qualité pour agir, et, d’autre part, qu’il a lui même qualité à exercer l’action du subrogeant dans les droits duquel il se trouve. L’entreprise est bien souvent ardue. Nul n’ignore combien la recevabilité à agir des assureurs est régulièrement contesté (C.f notamment, C.Cass.1ère civ, 23 septembre 2003 n°01-13924, C.Cass, com 14 janvier 2004 n°02-1589).

L'hypothèse d'une régularisation de cette recevabilité est alors, on s'en doute, d'autant plus critique.

La difficulté est régie par l’article 126 du Nouveau Code de Procédure Civile qui dispose :

« Dans le cas ou la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment ou le juge statue.

Il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l’instance.

C’est vis à vis des délais de prescriptions, que l’on sait très être très courts en matière de transport, que la règle énoncée à l’article 126 du NCPC, et précisément celle qui s’évince de de son alinéa 2, prend toute sa mesure. En précisant que toute intervention de la personne ayant qualité pour agir doit nécessairement avoir lieu avant toute forclusion cette disposition rend, en effet, capitale la distinction précédemment rappelée entre l’intérêt et la qualité pour agir.

Ainsi, si l’intérêt à agir du requérant peut être établi avant la clôture des débats, et son action ainsi déclaré recevable comme régularisée, la qualité pour agir doit exister, ou être rétroactivement validée, lorsque l’intervention à l’instance a lieu.

En conséquence, et en application de l’alinéa 1 de l’article 126 l’assureur qui assigne, sans avoir indemnisé, en qualité d’assureur subrogé dans les droits de la personne ayant intérêt à agir, sera recevable en son action dès lors qu’il aura indemnisé son assuré avant que le Juge ne statue puisque la « cause (…) de la situation donnant lieu à la fin de non recevoir » aura disparu de façon rétroactive (A titre d’exemple dans l’espèce soumise à la Cour dans sa décision du 18 juin 1985 l’assureur avait pris soin de préciser qu’il assignait en qualité d’assureur subrogé dans les droits du propriétaire de la marchandise la régularisation pouvait alors intervenir après l’échéance du délai de prescription et rétroagir à la date de l’assignation (Cass. 1ère Civ., 18 juin 1985, BTL 1985, 520). Voir également C. Cass., com., 5 juillet 1988, Bull. IV n° 233).

L’action engagée par l’assureur avant l’indemnisation, ou avant d’avoir bénéficié d’une transmission efficace du droit d’action, se trouve donc rétroactivement validée par le paiement en cours d’instance (C.A. Paris, 5ème Chambre A, 9 février 2000, n° 1998/022609, Lamyline.)

En revanche, et selon les termes du second alinéa, toute intervention à l’instance postérieure à l’échéance du délai de prescription est nécessairement vouée à l’échec. Or, et dès lors qu’il est constant « qu’un changement de qualité équivaut à un changement de partie » (Cass. Com 24 septembre 2003 - Obs. Perrot, Revue Procédure décembre 2003, 8), les assureurs ne peuvent assigner en qualité, par exemple, de subrogé dans les droits du chargeur, et, ultérieurement, renoncer à cette qualité, après l’échéance du délai de prescription pour se présenter comme subrogé dans les droits du destinataire.

C’est dans ce sens que doit s’interpréter l’arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour de cassation du 24 septembre 2003, en matière de procédure collective, dont il résulte qu’« en aucun cas la régularisation n’est possible après l’expiration du délai de prescription et ce même si la personne ayant qualité pour agir acquiert cette qualité après la forclusion ».

Dans cette décision ce que sanctionne la Cour c’est la rectification, tardive, par le requérant de la qualité qu’il avait invoquée dans son assignation . En rectifiant cette qualité le requérant intervenait comme une nouvelle partie à la procédure. Il ne s’agissait donc pas de « régulariser » rétroactivement une qualité pour agir, mais bien « d’intervenir », au sens de l’alinéa 2 de l’article 126 du Nouveau Code de Procédure Civile: cette intervention devait donc avoir lieu avant l’échéance du délai de prescription.

Il appartient en conséquence aux praticiens et aux assureurs d’être précis s’agissant de la qualité qu’ils invoquent lors de l’introduction de l’instance, ou ad minima, avant l’ échéance de la prescription. Afin d’éviter d’avoir à renoncer à une qualité erronée, il y a lieu de bien préciser la qualité en laquelle le requérant assigne, quitte à régulariser cette dernière après l’échéance du délai de prescription.

C’est à ce propos, et à la lumière de cette décision, qu’en matière maritime l’arrêt prononcé par la Chambre commerciale de la Cour le 12 octobre 2004 revêt tout son intérêt.

On sait que depuis l’arrêt du 19 décembre 2000 (C.Cass., com 19 décembre 2000, DMF 2001, page 222, obs. P. Bonassies), navire Norberg, le chargeur peut agir en responsabilité à l’encontre du transporteur maritime à condition qu’il puisse justifier avoir subi un préjudice qui établit son « intérêt légitime à voir succéder sa prétention ». Etant admis que hors le cas des actions attitrées, intérêt et qualité pour agir se confondent au sens où l’intérêt à agir constitue un titre suffisant pour celui qui agit, et puisqu’aucun texte ne limite le droit d’agir sur le fondement du connaissement à une personne qualifiée au sens de l’article 31 du NCPC, la solution est logique : en démontrant son intérêt à agir le chargeur justifie avoir qualité pour le faire.

La récente décision de la Cour de cassation dans l’affaire du navire Hornwind (C.Cass., com 12 octobre 2004, DMF 2005, 247, Obs. O.Cachard) a cependant créée sur ce point une nouvelle confusion. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a en effet énoncé, s’agissant de la recevabilité à agir du chargeur à l’encontre du transporteur maritime sur le fondement du connaissement, que :

« l’action engagée dans le délai de prescription par une personne n’ayant pas qualité pour agir ne peut être régularisée postérieurement à l’expiration du délai de prescription et ce même si cette personne acquiert qualité pour agir après la forclusion »

L’examen de l’arrêt d’appel, confirmé par la Cour, a pu légitimement conduire Monsieur le Professeur Tassel (C.A. Rouen, 9 janvier 2003, DMF 2003, 832, Obs. Y.Tassel) à considérer que c’est « injustement » que l’action du chargeur avait été déclarée irrecevable puisque ce dernier avait incontestablement intérêt à agir. Aucun texte ne réservant la faculté d’agir sur le base du connaissement (étant rappelé que l’existence d’un intérêt ne saurait se confondre avec le droit invoqué par le demandeur (Cass. 3ème Civ, 27 janvier 1999, Bull. Civ 3, n° 19) et que l’existence d’un droit n’est pas une condition de recevabilité des demandes (Cass. 3ème Civ., 5 février 1997)), la Cour n’aurait pas dû se référer à la « qualité » pour agir du chargeur mais bien à son seul intérêt, qui, lui, était démontré. En ce sens, l’action du chargeur se devait d’être déclarée recevable (Obs. P. Bonassies sous l’arrêt « Norberg », DMF 2001, page 222 ,et L. Cadiet & E. Jeuland précités).

A la lumière de la décision précitée du 24 septembre 2003, il peut cependant être proposé une autre lecture de cet arrêt qui, nous l’espérons, ne remet pas en cause le principe de rétroactivité qui s’évince de la rédaction de l’article 126 du NCPC et rejoint les développements antérieurs.

Ne peut-on pas considérer qu’en invoquant une subrogation conventionnelle dans les droits du destinataire, étant rappelé qu’il avait assigné en tant que chargeur, le requérant avait tenté de rectifier sa « qualité » pour agir, et non de la régulariser. Il est vrai que la chargeur avait engagé son action « dans le délai de prescription » sans pour autant avoir intérêt à agir, il est également vrai qu’il avait indubitablement intérêt à agir lors que le juge statua, mais il avait alors intérêt à agir en une autre qualité….celle de subrogé dans les droits du destinataire.

S’agissant d’un changement de qualité, et donc de partie, la Cour n’aurait alors que réitéré le principe dégagé dans son arrêt précité du 24 septembre 2003.

S’il est vrai que la Cour admet dorénavant plus facilement la recevabilité de l’action du chargeur qui démontre son intérêt à agir elle fixe néanmoins une limite naturelle à cette action : celle du respect des principes de la procédure civile. Ce que sanctionne la Cour c’est donc l’indécision du demandeur.

C’est sans doute là la contrepartie de l’assouplissement des règles relatives à l’intérêt et à la qualité à agir sur le fondement du connaissement.

La lecture de l’attendu de la Cour dans son arrêt du 12 octobre 2004 pourrait alors être la suivante :

« l’action engagée dans le délai de prescription par une personne n’ayant pas qualité pour agir ne peut être régularisée postérieurement à l’expiration du délai de prescription et ce même si cette personne acquiert [une autre] qualité pour agir après la forclusion

C’est d’ailleurs ce qui s’évince d’une décision rendue, une fois encore en matière de procédure collective, par la Cour le 7 décembre 2004 au termes de laquelle elle précise que cette régularisation ne peut intervenir « même s’il s’agit de la même personne physique ».

« Attendu qu’un changement de qualité équivalent à un changement de partie, l’action engagée dans le délai de prescription par une personne n’ayant pas qualité pour agir, ne peut être régularisée en application de l’article 126 du nouveau Code de procédure civile, alinéas 1 et 2, que par l’intermédiaire de la personne ayant cette qualité avant l’expiration du délai de prescription ; qu’en aucun cas la régularisation n’est possible après l’expiration du délai de prescription, et ce même s’il s’agit de la même personne physique. » (C.Cass.,com, 7 décembre 2004, n° 02-19165, Inédit)

La règle est donc claire : lorsqu’on est subrogé, ou qu’on prétend l’être dans le futur, il faut assigner en cette qualité, et s’y tenir dès que les délais de prescriptions son échus si l’on veut pouvoir régulariser la situation lors de l’indemnisation.

Commentaires

c'est très clair cher Maître.

Rédigé par : bette | 27 avr 2008 08:05:39

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